mercredi 4 mars 2009

L'huître


L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en-dessus s’affaissent sur les cieux d’en-dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner.

La bougie


La nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées en massifs d'ombres.

Sa feuille d'or tient impassible au creux d'une colonnette d'albâtre par un pédoncule très noir.

Les papillons miteux l'assaillent de préférence à la lune trop haute, qui vaporise les bois. Mais brûlés aussitôt ou vannés dans la bagarre, tous frémissent aux bords d'une frénésie voisine de la stupeur.

Cependant la bougie, par le vacillement des clartés sur le livre au brusque dégagement des fumées originales encourage le lecteur, — puis s'incline sur son assiette et se noie dans son aliment.

Francis Ponge, Le Parti pris des Choses (1942)

L'allumette


Le feu faisait un corps à l'allumette.
Un corps vivant, avec ses gestes,
son exaltation, sa courte histoire.
Les gaz émanés d'elle flambaient,
lui donnaient ailes et robes, un corps même:
une forme mouvante, émouvante.

Ce fut rapide.

La tête seulement a pouvoir de s'enflammer, au contact d'une réalité dure,
-- et l'on entend alors comme le pistolet du starter.
Mais, dès qu'elle a pris,
la flamme
-- en ligne droite, vite et la voile penchée comme un bateau de régate --
parcourt le petit bout de bois,
Qu'à peine a-t-elle viré de bord
finalement elle laisse
aussi noir qu'un curé.

Francis Ponge (Pléiade, tome I. page 457 - Gallimard)

Les poêles

L'animation des poêles est en raison inverse de la clémence du temps.
Mais comment, à ces tours modestes de chaleur, témoigner bien notre reconnaissance ?
Nous qui les adorons à l'égal des troncs d'arbres, radiateurs en été d'ombre et fraîcheurs humides, nous ne pouvons pourtant les embrasser.
Ni trop, même, nous approcher d'eux sans rougir...
Tandis qu'eux rougissent de la satisfaction qu'ils nous donnent.
Par tous les petits craquements de la dilatation ils nous avertissent et nous éloignent.
Comme il est bon, alors, d'entrouvrir leur porte et de découvrir leur ardeur : puis d'un tison sadique agir au fond du kaléidoscope, changeant du noir au rouge et du feu au gris-tendre les charbons en la braise et les braise en cendres.
S'ils refroidissent, bientôt un éternuement sonore vous avertit du rhume accouru punir vos torts.
Les rapports de l'homme à son poêle sont bien loin d'être ceux du seigneur à valet

Francis Ponge

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ANALYSE
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Ponge évoque la chaleur et la fraicheur qui donne une notion de contraste (avec les mots "chaleur", "été", "tison", "rougeur/rouge", "braise", "poêles", "radiateurs" qui évoquent la chaleur et les mots "fraicheur", "humide", "gris-tenre", "refroidissent", "eternuement", "rhume" qui évoquent la fraicheur.
Il évoque aussi une comparaison avec l'être vivant notament l'etre humain (avec les sensations que seuls des etres vivants peuvent ressentir "rougeur" comparé avec les poêles qui "rougissent" et les poêles qui "eternuent" et il le montre à la fin de façon plus directe avec la comparaison de relation d'amitié, l'amour que peuvent entretenir deux etres humains. Il y'a également la familiarité des objets avec l'homme pour finir dans cette relation de complicité entre l'animé et l'inanimé.

L'orange

Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais: car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, -- mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins.Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ? -- L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, -- et ce sacrifice odorant. . . c'est faire à l'opresseur trop bon compte vraiment.

Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.

Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que suscite l'enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.

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ANALYSE
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On peut remarquer que dans ce poème en prose, Ponge a personnalisé l'orange. On lui attribue des sentiment, un caractère. Le lecteur considère alors l'objet comme un être humain.
Durant de nombreuses descriptions du fruit, les quatre sens trouvent place: le goût, le vue, le toucher et l'odorat. L'ouïe se fait remarquer par des allitérations. Les mots qu'utilise Francis Ponge la fait éxister alors qu'elle semble se vider: "cellules éclatées, tissus déchirés".
L'orange, en tant qu'objet, ne peut s'exprimer mais arrive à faire pronnoncer son nom "oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot".
On a l'impression que Francis Ponge nous transcrit bien plus que ces cinq sens. Lorsqu'il parle de "prendre parti", "d'opresseurs". Il faut prendre en compte que nou somme en 1942, durant la guerre.

Nous dirions de Francis Ponge que "si nous ne mangeons plus l’orange comme « nous habitons la maison », c’est parce qu’en nous faisant ré-entendre le « bruit de ses syllabes » , il fait œuvre de poète".

Le platane ou la permanance

Tu borderas toujours notre avenue française pour
ta simple membrure et ce tronc clair, qui se départit
sèchement de la platitude des écorces,

Pour la trémulation virile de tes feuilles en haute lutte
au ciel à mains plates plus larges d’autant que tu fus tronqué,

Pour ces pompons aussi, ô de très vieille race, que tu
prépares à bout de branches pour le rapt du vent

Tels qu’ils peuvent tomber sur la route poudreuse
ou les tuiles d’une maison…..
Tranquille à ton devoirtu ne t’en émeus point :

Tu ne peux les guider mais en émets assez pour qu’un
seul succédant vaille au fier
Languedoc

A perpétuité l’ombrage du platane.

Francis Ponge




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ANALYSE
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Ponge s'exprime toujours en prose dans ce poème.
A travers la description, se cachent des symboles. Francis Ponge voudrait-il nous présenter l'arbre de la Résistence qui nous invite à accomplir nos devoirs.
Il a été publié dans "Poésie 42", une revue Résistante en 1942. C'est donc bien la résistance à cette sombre période, où il faut accomplir son devoir dont il fait allusion.

mardi 3 mars 2009

Bibliographie du travail

Livres:

- Regard vers Francis Ponge : Entretien avec Bernard Beugnot et Bernard Veck, 1998, no12, pp. 147-149
- Le Parti pris des choses - La Rage de l'expression - Pièces, Francis PONGE, édition Gallimard

Sites :

-www.jacquesmottier.online
-www.evene.fr
- http://www.proverbes-citations.com
-www.fluctuat.net
-www.republique-des-lettres.fr